Genres littéraires : Drame psychologique, Tragédie existentialiste, Fiction philosophique, Littérature noire, Réalisme introspectif
Trois propositions aguicheuses pour donner envie de lire « La dissonance des cloches » :
#1 : Un dîner où l’amitié et les réflexions profondes s’entrelacent dans l’obscurité.
#2 : La quête de sens se dévoile entre deux amis, sous un ciel pluvieux et un repas.
#3 : Un repas, une confession, et une vérité dévorante sur le monde et l’humanité.
Résumé :
Deux amis, un dîner, et des réflexions poignantes sur la vie, la souffrance et l’humanité. Dans la chaleur de la cuisine et la lueur des flammes.
La Dissonance des Cloches
Dans la cuisine plongée dans l’ombre, où seule la lumière tamisée de la hotte illuminait la pièce, Pierre s’affairait à préparer le dîner. La lueur dansante du faisceau contrastait avec la pénombre ambiante, créant une atmosphère presque intime. Il avait pris soin de chaque détail, sélectionnant une belle pièce de viande avec une attention minutieuse : Un steak tendre, accompagné d’une sauce à la moutarde ancienne relevée de câpres et de fines herbes, et des pommes de terre préalablement coupées en lamelles, baignées dans une légère couche de beurre fondu, parfumées d’ail écrasé et de romarin frais, prêtes à être dorées et fondantes à la cuisson. Chaque geste, chaque ingrédient portait sa signature, une réflexion de ses compétences, de ce peu d’affection qu’il pouvait accorder à une existence devenue morne.
La pluie frappait le toit et les vitres du hameau, une mélodie douce et persistante qui berçait l’esprit de Pierre alors qu’il continuait à travailler d’un air résolu aux fourneaux.
« Avant tout, Jean, laisse-moi parler. Ensuite, si l’envie t’en prend, tu pourras me dire ce que tu en penses. » Pierre s’était arrêté un instant, accoudé contre la cuisinière, la chaleur des plaques de cuisson se mêlant à celle de son propre corps. Le dîner était prêt, mais les mots qui suintaient de sa bouche étaient bien plus urgents que la nourriture qui mijotait.
Il n’était pas seul. Ce repas était pour deux, lui et son fidèle ami, Jean, son compagnon de longue date, celui qui avait toujours été là.
« J’en ai plein le cœur, vieux, et je sais que tu l’as toujours su… Je me demande parfois ce qui te pousse à me supporter encore… Toi, la seule personne que je n’ai pas réussi à repousser définitivement, malgré mes frustrations. T’es celui qui m’écoute, qui ne m’a jamais abandonné. Peut-être que c’est ta bonté, cette foi inébranlable que tu as dans l’humanité, qui te permet encore de rester ici… »
Il le regarda attentivement tandis qu’il lançait la cuisson de la pièce de viande. Jean, assis en face de lui, semblait calme, totalement attentif, ses oreilles grandes ouvertes.
« Je suis épuisé, vieux, épuisé… Tu sais, je te respecte profondément. Je dois te confier quelque chose : j’ai toujours eu une admiration sans bornes pour toi. Tu as toujours incarné ce que je ne parviens pas à être, non seulement extérieurement, bien entendu, mais surtout intérieurement, dans les profondeurs de ton être, de ton âme. T’es ce putain de type bien, serein, équilibré, que j’ai toujours rêvé de devenir. Optimiste, idéaliste, bienveillant… Ces qualités m’ont toujours touché, profondément. »
Tout en retournant le steak, Pierre but une longue gorgée de son Old Woody, son bourbon préféré, qu’il savourait dans son verre. Il s’essuya le front, perlé de sueur sous la chaleur intense, et avec une moue de contrariété, il ajouta :
« Mais je vous comprends pas, vieux… J’ai du mal à comprendre les gens, et eux me le rendent bien… Putain, qu’ils me le rendent bien… » Il marqua une pause, son regard se perdant dans les flammes, avant de reprendre, les mots frappant le sol lourdement. « Quand je vois cette horde de moutons se croyant tendance, mais surtout crédules, qui aiment se faire tondre et, pire encore, qui en redemandent… Ça m’exaspère… » Il se mua dans un silence, l’angoisse de ses pensées le rongeant.
« Je suis seul, tout le temps, même quand je suis entouré. Je ne fais pas partie de leur monde, et ça me dévore de l’intérieur. » Il soupira, le regard sombre. « J’ai pourtant croisé plein de gens qui se prétendaient ressentir les mêmes choses que moi, mais au final, lorsqu’on gratte un peu la surface, ils se rapprochent toujours, malgré eux, de cette masse insipide, débile… » D’un geste rapide, il vida d’un coup son verre.
« T’es le seul, vraiment, le seul, qui soit unique, authentique. Le seul à avoir traversé mon existence sans se fondre dans cette misère collective… Parfois, je me demande si la vraie liberté, ce n’est pas de s’accepter tel qu’on est, avec nos imperfections et nos failles. On passe tellement de temps à fuir ce qu’on est pour chercher ce qu’on pourrait être, qu’on finit par devenir des fantômes de nous-mêmes. En dépit de quelques défauts ici et là, t’es un putain de bon mec. »
Il remua les pommes de terre qu’il avait déjà placées sur le feu, jetant un coup d’œil furtif à son ami, dont l’attitude attentive montrait qu’il écoutait avec une concentration non dissimulée.
« Oui, je sais, je vois ton regard, tu te dis que ça commence mal, mais attends que je termine, et après ce sera ton tour. »
Pierre ajouta du thym frais et quelques feuilles de persil du jardin aux pommes de terre qui commençaient à dorer, et reprit sur un ton désabusé :
« J’ai cessé de croire en Dieu après l’adolescence, du moins pas celui que l’on décrit habituellement. Pour moi, il y a toujours eu quelque chose de plus beau, de plus pur, mais surtout plus naturel. Appelons ça ainsi : La Nature. Cette nature splendide, issue du Chaos et du Hasard.
C’est une entité différente pour chacun de nous, qui, surtout, ne parle pas et ne nous dicte pas sa volonté.
La politique j’ai arrêté d’y croire à l’âge adulte, du moins pas celle qu’on nous vend. Parce qu’au fond, c’est bien plus simple : tout le monde veut changer le monde, mais personne ne veut commencer par changer ses petits trucs à lui.
Ce qui me perturbe le plus, c’est de me rendre compte qu’il suffirait d’un éclat, d’une révolte soudaine, pour que je me retrouve seul, face à une masse d’individus arriérés, hypnotisés par les premiers grands charlatans, les manipulateurs d’opinions… Des gens prêts à me condamner, à me brûler, juste parce que je ne vénère pas leurs dogmes, m’accusant d’être un impie… » (Il agita les pommes de terre avec une vigueur presque exagérée.)
« Les systèmes qui nous protègent sont des farces. Derrière l’illusion de la sécurité, il n’y a que des ombres. Une fausse stabilité, une promesse brisée. Il suffirait d’une simple étincelle, d’un pet de vent, pour raviver cette haine aveugle et faire renaître un obscurantisme qui nous propulserait deux mille ans en arrière. Nous, ceux qui oseraient encore penser par eux-mêmes, serions réduits au silence, persécutés, relégués à l’ombre, et finirions par disparaître… Tandis que les autres, eux, se battraient, non pas pour leur vie, mais pour savoir qui détient la vérité divine, qui détient l’ultime vérité. » (Il éclata de rire, nerveusement.)
« Où est la sagesse, hein ? Nom de Dieu, où se trouve-t-elle ? A-t-elle jamais existé ? »
Il poussa un profond soupir, ses yeux se posant avec lassitude sur ses cuissons, et reprit d’un ton las :
« Je commence à ressentir cette colère, Jean. La colère contre un monde d’une beauté infinie, mais à la saleté insondable, peuplé de créatures abjectes, fausses, perfides, cruelles et corrompues, qu’elles soient au bas de l’échelle ou au sommet. Quid de la tolérance ? Les gens semblent si étriqués
Je sais bien que nos parcours ne sont pas les mêmes, que je ne suis pas ce misérable pécheur, cet ignorant sans accès à la culture. Mais même lui devrait saisir que semer la douleur, infliger la cruauté, c’est une souillure, non ? On m’a dit toute ma vie que le bien triomphe toujours, mais regarde autour de nous… Le mal prospère, se cache sous des masques de vertu. Alors, peut-être que la vérité, c’est que le bien n’est qu’un mot pour ceux qui ont le luxe de croire en la justice, pendant que le mal danse dans l’ombre, impuni. Apparemment c’est moi qui suis dans l’erreur, ou du moins qui m’en suis convaincu. Vouloir changer les gens tout en respectant leur libre arbitre, c’est absurde. Peut-être que je ne suis qu’un imbécile paranoïaque, un solitaire dans le faux… Il y aurait des âmes bienveillantes, de l’espoir… Ce genre de niaiseries. »
Il se servit un grand verre de bourbon qu’il avala d’un trait, puis se remit à remuer ses pommes de terre, coupées en fines tranches, les yeux rivés sur la pièce de viande, maintenant trop cuite, qu’il retourna. Le regard qu’il posa sur l’horizon était morne, figé. Il baissa l’intensité du gaz, puis se resservit.
« Tu veux vraiment savoir ce que j’en pense ? Tout est chaos, purement aléatoire… Le karma, c’est juste un bâton de consolation pour les bigots et les crédules, pour ceux qui s’efforcent de faire le bien sans jamais y être récompensés, et qui espèrent une rétribution dans cette vie, ou dans une suivante… La réincarnation ? Une autre niaiserie poétique. Ce ne sont que des faux-semblants, des fables inventées par le misérable qui veut rationaliser sa souffrance et se convaincre qu’il échappe à la misère, qu’il épargne de la chance pour une existence future, toujours incertaine. Même ça, c’est calculé. Le véritable don, celui qui a du sens, est anonyme et dépourvu de toute attente. »
Pierre fixa son verre avec une amertume palpable, comme s’il y voyait à la fois son passé et son avenir, se refléter dans le liquide ambré.
« La haine a toujours été plus puissante que l’amour. L’amour nous fragilise, nous fait vaciller. Rarement il nous pousse à nous surpasser, et encore moins dans un contexte qui n’atteint pas un degré extrême. La plupart du temps, on s’en contente, on s’installe dans le confort de nos acquis, devenant apathiques. À l’inverse, la haine, cette force brute, est un moteur inarrêtable qui nous propulse, nous élève, jusqu’à des sommets insoupçonnés.
De mon point de vue, ce n’est pas l’amour qui nous fait vraiment transcender. Non, ce sont les ténèbres : la haine, la colère, la jalousie, l’envie. Elles nous poussent plus loin, plus fort. C’est elles qui forgent la détermination et la résistance face à l’adversité. L’amour, lui, nous fragilise, nous expose à la perte, à la douleur, et, souvent, à la damnation. Rarement il nous récompense. À partir de là, il devient évident pourquoi tant de gens sombrent dans la noirceur plutôt que de s’élever vers la lumière. »
Il se tut un moment, le regard fixé au-delà de la fenêtre. La pluie battait la vitre, ses gouttes frappant le verre avec une insistance hypnotique, créant des ondulations qui semblaient l’apaiser un instant. Il scruta l’obscurité de la rue, mais les lampadaires ne lui offraient qu’un pâle éclat dans cette nuit pluvieuse.
Il baissa les yeux et fixa le fond de son verre, comme s’il cherchait des réponses dans la clarté dorée de l’alcool.
« Mais toi, tu n’es pas comme ça. Tu donnes sans attendre, sans rien espérer. Tu es un saint moderne, rare et précieux. J’ai toujours admiré ta capacité à voir la beauté dans l’imperfection, comme la fleur qui éclot dans les fissures du béton. Ta bienveillance éclaire tout, et j’envie cette paix que tu dégages. J’aimerais tant percevoir le monde à travers ton regard, ressentir cette paix que tu incarne, et goûter à ta capacité à pardonner, à aimer, à vivre en harmonie avec ceux qui t’entourent. Tu vois le meilleur, là où tant ne voient que le pire. Et je t’envie pour cela. »
Pierre avala une nouvelle gorgée de bourbon en trois grandes goulées. Il hoqueta, s’essuya la moustache d’un revers de manche, et soupira profondément.
« Je suis fatigué de tout cela, lassé par cette vision du monde, de ce pessimisme qui me ronge. Nihiliste, misanthrope, sans aucun espoir pour l’humanité, qui est fondamentalement perdue. Tout ça ne sont que faux semblants, marabouteurs, mystificateurs ? L’humain est intrinsèquement mauvais. Quant aux animaux, n’en parlons même pas… Ils sont tout autant tarés. »
Il fit une pause, cherchant ses mots, l’esprit brumeux sous l’effet de l’alcool.
« J’ai essayé. J’ai voulu être quelqu’un de bon, d’honorable, même en prenant exemple sur toi. Mais ça ne marche pas. J’ai beau tenter de suivre ta voie, je suis incapable d’y parvenir. C’est tellement difficile. Être honnête et vertueux… C’est une lutte constante. Alors que c’est tellement plus facile de céder au jugement, à la manipulation, de voler, détruire. La facilité est toujours la plus tentante. »
Pierre se resservit, et, du regard, nota que la bouteille était déjà bien entamée. Il fit une grimace, puis, tout en secouant la tête, il reprit.
« Et ce sont ceux qui croient être du bon côté, se berçant de belles illusions, qui me révulsent le plus. Ceux qui se mentent à eux-mêmes, sans même se rendre compte qu’ils sont à l’opposé de ce qu’ils prétendent être. Ils sont bien plus dangereux que n’importe quel mauvais. Mais au moins, moi, je suis lucide. Je vois la vérité en face. Quand je cherchais à être comme toi, honnête et droit, je savais que ça n’était même pas naturel. C’était intéressé, artificiel. »
Il fit une autre pause, se plongeant dans ses pensées avant de se lever et de tendre son verre. D’un geste lourd, il le vida d’un coup sec, émettant un grognement sourd. Puis il fixa son ami, le regard plein de gravité.
« Mais c’est fini tout ça. Je veux changer, je vais changer. »
Pierre eut du mal à fixer son vieux compagnon, la faible lumière ambiante et l’alcool qui pesait sur ses sens ne facilitant pas la tâche. Cependant, dans l’obscurité, il crut distinguer un sourire sur le visage de Jean. D’un geste lourd, il leva son verre en direction de ce dernier et, d’un coup sec, vida son contenu. Un grognement s’échappa de sa gorge, il secoua la tête avant de reprendre d’un ton grave : « Bien entendu, il y a toujours pire… » (Pierre secouait son verre vide en direction de son interlocuteur, son regard noir se posant sur lui.) « Et ne me sors pas cette connerie, s’il te plaît. Ça m’a toujours révolté quand les gens balancent cette phrase à la con. Bien sûr qu’il y a toujours pire, bordel !
Le gamin qui se plaint d’une jambe cassée, tu vas lui dire qu’il y a untel qui a perdu une jambe, et à lui, tu pourras aussi rappeler qu’il y a un autre gosse qui a perdu les deux. » (Pierre mimait une moue exagérée, avec un ton plaintif.) « Et puis, tu lui diras encore qu’il existe quelqu’un d’autre qui a perdu deux jambes et deux bras ! » (Il leva les yeux au ciel, l’air las.) « Et ainsi de suite, et ainsi de suite…
En vérité, on ne fait que repousser le problème, nier la réalité. ‘Y’a pire ailleurs’, hein ?! Je t’en foutrais, moi, de cette excuse à la con ! C’est une façon de se décharger, rien de plus.
Depuis que j’étais môme, j’ai bien compris qu’il n’y avait pas d’échappatoire. Si tu dis que c’est de ta faute, tu finis par passer pour une éternelle victime, toujours à pleurer sur son sort. Si tu pointes du doigt les autres, tu deviens celui qui rejette systématiquement la faute, celui qui fuit ses responsabilités. Tu veux mon avis ? Dans les deux cas t’es baisé. Et au fond, je sais que tu le sais ! »
Pierre fixa son ami dans la pénombre, ses yeux brillants d’une douleur indicible, et il lui sembla, dans ce moment d’intimité, que Jean compatissait.
« Le repas est servi ! » s’écria-t-il, une lueur d’excitation dans la voix. L’alcool avait déjà commencé à assouvir son emprise, et son discours, nourri d’émotion et de sincérité, l’avait galvanisé. Pierre était ainsi, il se jetait corps et âme dans chaque parole, chaque geste, avec une intensité démesurée. Il parlait avec hargne, souvent emporté, mais tout cela, Jean connaissait.
Le cuisinier du dimanche dressa les assiettes, le plat, bien que légèrement trop cuit, était prêt à être assaisonné. Le steak, malgré son aspect un peu dur, offrait une promesse de saveur, et les pommes de terre sautées, elles, étaient impeccables.
« Bon appétit, mon ami. J’espère que ce repas marquera un tournant pour notre avenir. »
En dégustant une bouchée de viande un peu trop cuite, Pierre laissa échapper un sourire, comme une étincelle furtive, en direction de son fidèle acolyte.
Jean, ce n’était pas seulement un homme de bien. Il possédait aussi cette saveur rare, cette touche presque irréelle, une expérience unique.
Image générée par I.A
BOUDU
BELLE ECRITURE ET BELLE HISTOIRE
FELICITATION
SA M’A BIEN PLU
BISOUS
TONGTONG