Genres littéraires : Roman psychologique, Roman existentialiste, Roman noir, Réalisme, Fiction introspective
Trois propositions aguicheuses pour donner envie de lire « Il attendait le train » :
#1 : Un homme perdu dans ses pensées, un train qui approche, et une question qui hante : fuir ou affronter la vie ?
#2 : Entre la chaleur d’une cigarette et la froideur d’un quai désert, Tancrède attend, mais ce qui le ronge ne s’arrête jamais.
#3 : Dans l’obscurité d’une gare, un homme attend le train, mais c’est son âme qu’il cherche à fuir.
Résumé :
Tancrède, perdu dans ses pensées et sa souffrance, attend un train qui pourrait lui offrir l’évasion qu’il désire. Mais à chaque moment de répit, la réalité le rattrape, et il se retrouve face à ses propres contradictions, dans une quête de sens qui semble sans fin.
Il attendait le train
Tancrède, cigarette allumée entre les doigts, observait les pansements usés qui entouraient ses phalanges. Ces bandages grossiers n’étaient là que pour soulager les brûlures causées par ses excès : trop de fumée, trop d’alcool, trop de tout. Il aimait bien la manière dont ils le marquaient, avec une sorte d’élégance douteuse, comme si chaque ampoule et chaque cloque racontaient une histoire, une petite victoire dans sa quête de déraison. Mais ce n’était là qu’une brève distraction, une manière de fuir l’inconfort intérieur. La chaleur de la cigarette entre ses doigts, et la douce douleur de la brûlure, étaient presque réconfortantes, le tirant de ses pensées envahissantes. La nicotine s’introduisait en lui, emportant avec elle ses doutes, ses angoisses.
Il attendait le train, son ultime échappatoire. Il n’en avait pas besoin pour fuir, mais il lui semblait que, de cette manière, tout serait plus simple. Comme si une arrivée pouvait résoudre une partie de la complexité de sa vie, de ses contradictions internes. Le train arriverait, et avec lui, une promesse d’évasion, de réinitialisation, même si, au fond, il savait qu’une nouvelle route ne ferait que prolonger la même quête sans fin.
Une jeune fille s’approcha alors de lui. Elle était jolie, mais son regard trahissait une douleur évidente. Elle lui lança, sans crier gare : « Je suis schizophrène, bipolaire, et je viens de m’échapper de l’hôpital psychiatrique d’où j’étais internée. » Le ton de sa voix, à la fois désinvolte et sincère, fit sourire Tancrède. Il l’avait vue des centaines de fois, cette scène, ces paroles jetées comme une vérité ultime, un appel désespéré. Certains auraient trouvé cela singulier, troublant même. Pour lui, c’était une banalité, une variation sur le thème de la folie humaine qu’il rencontrait sans cesse. À chaque rencontre, à chaque relation, le même cycle se répétait : un lien qui débutait sous le signe de la curiosité, mais qui se transformait invariablement en chaos et en dérive. Les gens venaient à lui, fuyant leur propre déraison, croyant le trouver comme un phare dans la nuit, mais en fin de compte, il n’était qu’un miroir des troubles qui les habitaient.
Tancrède pensa à une histoire qu’il n’oublierait jamais. Un jour, il avait rencontré un homme dans un bar, un type sympathique qui semblait tout à fait ordinaire. Mais en discutant, il avait fini par lui confier un secret, avec un sourire absent : « Tu sais, j’ai tué mon frère. »
Tancrède, interloqué, l’avait interrogé, mais l’homme, visiblement détaché, expliqua d’un ton presque casual : « Je l’ai tué pour le libérer. Il souffrait tellement de la vie, de la dépression, de tout ça. Il ne voulait plus vivre. Alors j’ai pris la décision pour lui, j’ai mis fin à tout ça avant qu’il ne s’effondre sous la douleur. »
L’homme avait parlé de son frère comme d’un objet à réparer, comme si la décision de vie ou de mort pouvait être une simple solution à la souffrance humaine. Il avait agi, disait-il, par amour, par pitié. Mais l’horreur de la situation frappait Tancrède avec une force d’autant plus grande que l’homme semblait si calme, presque indifférent à ce qu’il venait de confier.
« Je l’ai fait pour lui. Il ne m’a jamais pardonné, mais je sais que c’était la seule façon, » avait-il ajouté, comme si de toute façon, le pardon n’avait plus aucune importance. Tancrède se souvint du malaise qui s’était emparé de lui à ce moment-là. Ce n’était pas tant la cruauté du geste, mais la simplicité de la justification qui l’avait déstabilisé. La folie humaine, expliquait-il à Tancrède, était parfois plus logique que la raison elle-même, mais dans cette logique tordue, il n’y avait ni justice, ni rédemption. C’était une simple erreur de calcul dans un monde trop complexe pour être compris.
Tancrède savait qu’il avait croisé trop de gens qui, comme cet homme, agissaient sous des impulsions qu’ils considéraient comme des solutions. Le monde regorgeait de « solutions » aussi déformées que celle-ci, et à chaque coin de rue, il se sentait de plus en plus perdu dans ce dédale de justifications absurdes. Peut-être que la folie n’était pas tant dans l’acte en soi, mais dans la manière dont l’esprit humain pouvait se convaincre que tout était acceptable, même l’impardonnable.
« La folie, l’absurde, tout ça… C’est ma vie », pensa-t-il. Il n’était ni un sauveur, ni un thérapeute. Il n’était que celui qui observait, qui absorbait les tourments des autres sans jamais vraiment s’en libérer. Il savait comment cela allait finir. Un peu de camaraderie, quelques bières partagées, et bientôt, les tensions naîtraient, l’affection se transformerait en rivalité, l’alcool en haine. Tout devenait une spirale sans fin. Il l’avait vu trop de fois pour espérer un résultat différent. Alors, sans pousser plus loin la conversation, il s’éloigna, laissant la jeune fille seule sur le quai, parmi les murmures et les va-et-vient incessants des voyageurs. Il laissa son esprit dériver, sa détermination à fuir devenant de plus en plus claire. Il sentait le besoin de quitter ce monde étouffant, où chaque jour semblait une répétition du précédent, une existence écrasée par un vacarme insupportable. Fuir n’était qu’une illusion, mais il n’envisageait pas d’autre issue.
Ses pensées s’égarèrent alors vers une autre rencontre, bien plus ancienne. Une chiromancienne, une vagabonde qu’il avait croisée il y a des années, lui avait dit : « Vous êtes une vieille âme, hypersensible, capable de tout entendre et de tout comprendre. Vous vous ferez un jour une place dans l’insensé. » Ces mots, simples mais percutants, s’étaient inscrits dans sa mémoire comme une sorte de malédiction. Comprendre les autres, accepter leurs bizarreries, leurs déviances, était facile. Mais qui l’accepterait lui, Tancrède, celui qui était trop « vieux » pour sa propre époque, trop sensible pour survivre à sa propre vie ? La clairvoyance de cette femme était impressionnante, mais elle n’avait rien changé à son parcours. Au contraire, elle avait renforcé l’idée qu’il était destiné à être incompris, solitaire dans sa capacité à voir les choses différemment. Elle vivait dans un monde parallèle, où la vérité semblait se plier à ses attentes. Mais Tancrède avait vite compris que parfois, ceux qui croient voir au-delà du voile sont les plus aveugles aux détails qui les entourent. Après tout, l’art de la clairvoyance résidait peut-être dans l’illusion que l’on comprend tout, et que tout le monde devrait le comprendre aussi.
Peut-être que la vraie malédiction de Tancrède, c’était d’être ce miroir, toujours là pour refléter les failles et les désirs des autres sans jamais pouvoir trouver son propre reflet. Avoir la capacité de comprendre tout, de percer les vérités les plus profondes, et pourtant, ne jamais être vu ni compris par quiconque. C’était là toute l’ironie : être doté d’une sagesse inédite, mais incapable de se libérer des chaînes invisibles de l’isolement. Dans un monde où personne ne peut comprendre l’autre, être celui qui comprend le mieux, c’était comme être enfermé dans une cellule pleine de fenêtres, sans jamais pouvoir sortir. Peut-être que la vraie folie, en fin de compte, n’était pas de perdre la tête, mais de la garder intacte, tout en voyant le monde se briser autour de soi.
Il n’était ni fou, ni malade, mais à force de côtoyer la folie des autres, il en avait acquis un peu, sans même s’en rendre compte. Il vivait entre deux mondes, celui de l’insensé et celui du réel, un pied dans chaque territoire, sans jamais pouvoir en quitter un pour l’autre. Il n’était pas le pape de l’étrange, juste un spectateur fatigué de cette danse entre les deux. Tancrède se sentait comme un acteur sur scène, contraint de jouer un rôle dont il ignorait le script. Il répétait les mêmes gestes, les mêmes erreurs, se demandant parfois si la pièce ne finirait jamais. Mais il était là, pris dans cette performance absurde, sans la possibilité de quitter la scène. Chaque jour, il se disait que, peut-être, ce n’était pas la folie qui le dérangeait, mais la manière dont le monde l’invitait à danser sans jamais lui donner de musique.
Tancrède se souvenait de ces mots qu’on lui répétait souvent : « Tu y arriveras, sois patient. » Mais qui avait la patience de comprendre son monde à lui ? Qui pouvait saisir la complexité de ses pensées, de ses contradictions ? Personne. Il était seul, comme il l’avait toujours été. La vie ne lui avait jamais offert de répit, pas même un instant de clarté. Pourtant, il avait appris à continuer sans savoir pourquoi, avec cette phrase creuse résonnant en lui : « Tu y arriveras… ».
Il pensa alors à la dernière fois où quelqu’un lui avait dit, les yeux pleins de pitié : « Il faut tenir, tout va s’arranger. » Tancrède avait ri. Tout s’arranger ? Comment ? En souffrant plus longtemps ? Peut-être qu’il pourrait enfin trouver un peu de répit, simplement en fermant les yeux, laissant tout s’effacer, sans retour. Ce n’était pas de la peur, juste une lassitude infinie. Un acte de courage, ou de lâcheté ? Il ne savait plus, et en vérité, il s’en fichait.
Le train approchait. C’était tout ce qu’il savait. Il espérait que ce voyage offrirait quelque chose de nouveau, mais au fond, il savait que la fuite, aussi loin qu’il aille, ne résoudrait rien.
Alors, allumant encore une cigarette, prêt à bondir lorsqu’il passerait, Tancrède attendait, un sourire en coin, confiant dans l’idée que son pire ennemi, celui qu’il ne pourrait jamais fuir, se trouvait en lui-même.
Image générée par I.A
Encore une vraiment sympa Monsieur ! Univers réellement intéressant, je continue de suivre.